21 de julio de 2010
Le Figaro
J'ai toujours senti un profond respect ainsi qu'une grande admiration et affection pour la France. Mes grands-parents étaient de fervents admirateurs et connaisseurs de grands auteurs français comme Jean-Jacques Rousseau, Victor Hugo, Henri Bergson, Anatole France et André Gide. Cette admiration les a conduits, au début du siècle dernier et à la fin de la Belle Époque, à vivre à Paris. C’est là, dans le contexte de la grande guerre, que sont nés et se sont éduqués mon père et ses frères. À travers eux, j'ai appris à connaître, dès mon enfance les gens, l'histoire, la culture, les institutions et les valeurs républicaines de ce pays qui a eu la générosité de les faire connaître et de les partager dans le monde entier.
La France va bientôt commémorer un nouvel anniversaire de sa grande Révolution, et elle le fera en grande pompe. En effet, plus qu'une époque de changements, la prise de la Bastille a représenté un changement d'époque. Depuis lors, les idéaux de la liberté, de l'égalité et de la fraternité sont restés gravés dans le cœur de tous ceux qui rêvent à la construction d'un monde meilleur.
Malgré tout le temps écoulé, ces principes sont aujourd'hui plus significatifs et pertinents que jamais.
Qui oserait aujourd'hui s’élever publiquement contre les voix qui exigent une plus grande Liberté dans tant de nations qui en sont encore privées ?
Qui pourrait s'opposer à une plus grande Égalité dans l'accès aux chances de progrès et de bien-être comme le revendiquent des millions de personnes dans le monde entier ?
Qui pourrait nier l'importance de la Fraternité, ou de sa sœur jumelle, la Solidarité, dans le traitement que nous nous devons d'avoir les uns vis-à-vis des autres ?
Certes, au cours des 221 années qui se sont écoulées depuis lors, la liberté, l'égalité et la fraternité ont servi de justification aux idéologies et aux expériences politiques les plus diverses, dont certaines n'ont engendré que mort, douleur et souffrance à des millions de personnes. En effet, le XXe siècle a non seulement été le témoin de deux des guerres les plus meurtrières, mais aussi des deux expériences sociales les plus néfastes de l'histoire, à savoir le nazisme et le communisme.
Mais personne ne peut nier aujourd'hui, au seuil de ce XXIe siècle, que nous assistons finalement à la consolidation d'un système politique économique qui a créé, comme jamais auparavant, les opportunités de développement et de progrès dont nos peuples ont besoin. Et ceci, nous le devons, en grande partie, à la France et à sa révolution. C'est elle en effet qui a semé les germes de la démocratie, de l'économie sociale de marché et du respect absolu des droits inaliénables de l'être humain, principes aujourd'hui partagés par tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté.
Le fait que ces mêmes idéaux aient permis, deux cents ans plus tard, de venir à bout du mur de Berlin et du rideau de fer n'est pas fortuit. Ces idéaux ont également permis au Chili de récupérer sa démocratie et une saine coexistence.
Mais ceci fut la première transition. Aujourd'hui, 20 ans plus tard, mon pays amorce une nouvelle transition. La transition de la jeunesse, la transition de l'avenir, la transition qui nous permettra, d’ici à la fin de cette décennie, d'être le premier pays en Amérique latine à s’affranchir du sous-développement et de la pauvreté et à s'incorporer pleinement à la première division de la société mondiale. Nous avons besoin, pour ce faire, d'élargir les frontières de la liberté, de renforcer l'égalité des chances et de pratiquer la fraternité à plus grande échelle.
Dans la conjoncture actuelle, nous avons impérieusement besoin, pour élargir les frontières de la liberté, de libérer et mettre en mouvement les forces de l’imagination, de la créativité, de l'innovation et de l'esprit d'entreprise qui habitent chaque Chilienne et Chilien.
En matière d'équité, nous nous proposons de passer du pays des inégalités au Chili des opportunités, à savoir un pays qui valorise l'effort, le mérite, le travail bien fait et qui crée les conditions requises pour inspirer et mobiliser tous ceux qui souhaitent faire une différence dans leur vie personnelle et dans la société, indépendamment du milieu dans lequel ils sont nés ou de l'école qu'ils ont fréquentée.
Nous aurons également besoin de plus de fraternité, pour faire du Chili une république plus humaine et un pays « plein d'idéaux et de vertus », comme le rêvait Diego Portales, le grand constructeur de notre État grâce auquel, à l’aurore du XIXe siècle, le Chili se présentait déjà comme un exemple d'ordre et de progrès.
Sur le plan international, nous devons nous doter de nouveaux outils pour faire face aux fléaux modernes liés à la mondialisation, à savoir le trafic de drogue, la traite des êtres humains, le terrorisme international, le réchauffement de la planète et, naturellement, les crises économiques qui se succèdent de plus en plus fréquemment.
Pour ce faire, il va falloir procéder à de profondes réformes des institutions politiques, économiques et financières internationales. Mais ces efforts resteront insuffisants si nous perdons de vue les principes de la Révolution française. En effet, il ne nous sera possible de construire un ordre mondial plus humain, plus juste, plus équitable et plus sûr que si nous veillons à rétablir la liberté dans tous les coins du monde où elle est encore bafouée impunément ; que si nous garantissons une relation plus équitable entre nos nations de façon pouvoir forger des consensus et parvenir à des équilibres plus durables ; et que si nos peuples font preuve d’une plus grande fraternité dans leurs relations mutuelles.
C'est pourquoi, comme j'ai eu l'occasion d'en parler avec le président Sarkozy il y a quelques semaines à Madrid, le fait que le Chili assume actuellement la présidence pro tempore du Groupe de Rio et que la France va, à partir de novembre 2010, assumer la présidence du G20 nous donne une occasion unique de promouvoir la liberté, l’égalité et la fraternité entre les pays plus industrialisés et l’Amérique latines. En outre, le prochain sommet Europe-Amérique latine qui aura lieu en 2012 sera lui aussi l’occasion de resserrer et d’enrichir les liens entre nos continents.
Nous devons regarder vers l’avenir et être prêts à être jugés non pas par nos intentions mais par nos résultats. Dans ce contexte, je rejoins le Président Sarkozy lorsqu’il nous invite à croire que l’impossible ne prend qu’un peu plus de temps et de volonté, d’autant plus que cette conviction s’insère dans une société qui a fait la preuve, par sa révolution, qu’il est possible de transformer les rêves en projets et les projets en réalités.
J'écris ces lignes à un moment qui, pour mon pays, est historique et dramatique.
Historique parce qu'en septembre prochain, nous allons célébrer notre bicentenaire comme nation indépendante, occasion unique pour renouveler notre engagement vis-à-vis des idéaux de la Révolution française, pour développer notre démocratie et la rendre plus vitale et participative et pour accroître les libertés ; pour avancer vers une véritable égalité des chances permettant à tous de parvenir à la meilleure réalisation possible chacun en fonction de ses talents et de ses efforts ; et aussi pour faire du Chili une société plus humaine, plus prospère, plus juste et plus fraternelle.
Mais mon pays vit également des heures dramatiques. La commémoration de notre bicentenaire se déroule dans le contexte d'un Chili meurtri, affligé et blessé. Il y a quelques mois, nous avons été frappés par un séisme et un raz-de-marée considérés parmi les cinq événements de ce type les plus violents de l'histoire connue de l'humanité. Ce jour-là, des centaines de compatriotes ont perdu la vie, plusieurs milliers sont restés prisonniers de la boue ou sous les décombres, et on compte des millions de sinistrés et des pertes considérables en matière de logement, d’hôpitaux, d’écoles et d’infrastructures.
En ces temps historiques et dramatiques, mais aussi très riches en opportunités pour nos peuples, je voudrais rendre hommage à la liberté, l'égalité et à la fraternité, ainsi qu'au peuple français qui les a fait fructifier. C'est avec beaucoup de fierté et de reconnaissance que je peux vous assurer que cette célébration sera aussi mon 14 juillet.